Châlons

J’aime et je fuis châlons, j’ai un rapport étrange à cette ville comme une ville dans laquelle je n’ai jamais réussi à m’intégrer, tout en ayant ici d’agréables souvenirs d’enfance, de découvertes, d’émerveillement, et d’innombrables histoires

Ma vie y est peu intense, mais plus forte, diverse, elle stimule les sens et ne se pose que peu de questions, elle existe.

Me voilà, sur un banc dans le jard.

Je regarde des jeunes jongler avec des quilles et des balles, des chiens qui courent et jouent dans la verdure, des gens qui passent, qui parlent, qui prennent leur temps, et je m’autorise un peu à me sentir connecté à eux, à m’en foutre d’être différent, à me dire qu’ils m’aiment qu’importe si c’est faux, qu’eux sont bienveillant, je ne me demande pas pour qui ils votent, s’ils regardent CNEWS, je n’imagine pas leur regard s’ils me savaient homo, je prends juste les gens comme ça, comme si j’étais parmi eux, et je les aime un peu comme j’aime le vent, sans me demander d’où il vient. C’est lâche, c’est naïf, c’est putain d’agréable et reposant. Je n’ai pas à justifier ça. Ma douleur s’apaise, c’est ce qui compte ce jour, et voilà ma vue qui s’étend, ma tête qui pense, je me sens là.


Je ne sais pas quelle fibre on perd en grandissant.


On se normalise et on se détruit. On perd de ce “nous” nouveau et plein d’espoir. Je n’étais pas du genre à voir en moi un futur grandiose, loin de là. Mais quand j’ai commencé à découvrir la création musicale, littéraire, je n’avais pas conscience de mes obstacles et mes limites. Je m’améliorais, c’était magique, je pensais que ce serait sans fin. Que je réussirais à imaginer, fuir dans mes mondes, mes mots et mes sons, il n’en est rien. Quand j’écrivais tous les jours, aujourd’hui seul un texte ou deux ne s’ajoute à ma collection chaque année. Pas forcément mieux fini, pas forcément différent, parfois j’ai l’impression que je n’ai pas grand-chose d’autre à ajouter.

Je regrette l’ennui. Le vrai ennui, l’ennui plein d’énergie, plein de pensée, pas l’ennui de la déprime, pas celui qui dégoûte, non, l’ennui qui pousse à fuir, la matière première de la création. Désormais, je ne suis plus que tumulte, bordel, vacarme. Je ne m’ennuie pas, je fatigue, ma tête est occupée, difficile de s’enfuir complètement. Je reste en permanence amarré à mes douleurs,  qu’importe le vent, le temps.

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C’est dans la solitude que je m’adonne le mieux à la douleur. Que je sais lui consacrer le temps qu’elle mérite, la rassurer et l’apaiser.

C’est dans la solitude que je savoure la douce et lente mélancolie.Je profite du rien.

J’ai enlevé aux secondes chacun de leur poids et je m’applique à me laisser aller, me lover dans le silence. Rien ne vient le troubler. Juste l’inlassable tic tac d’une horloge effarée que ses aiguilles ne bougent pas. Rythmer le néant. Le temps s’est arrêté. 

Je m’étends sur mon matelas
de toute ma fatigue, jusqu’au bout des doigts,
et je reste là, le cœur battant:
je crains le jour qui vient.

La nuit s’est couchée trop tôt. Pourtant, j’admire la nuit. Son manteau de silence, au tissu de douceur. Et quand sonne minuit, le monde entre parenthèse, plus rien n’a d’importance. L’invisible ressurgit, celui qui fuit les bruits de pas, des machineries, des rires et des cris.

Je la rêve éternelle.

Demain n’arrivera pas, et cesseront le tumulte, le tourbillon des choses sans saveur, et le vacarme des objectifs stériles, aussi sérieux qu’ils sont absurdes.

Je rêve d’errances, sans orgueil, sans ambition.

Quitter la ville

Texte du 29 Novembre 2018

“Un jour on quittera notre ville et on s’installera ici, il y a de la vie”
Ma mère n’aspirait qu’à une chose, quitter Paris, son boulot, venir s’installer au calme. Elle avait tendance à idéaliser la campagne, oppressée qu’elle était par les hautes tours, les loyers trop chers et la pollution de la capitale. Je la croyais car, pourquoi aurait-elle eu tort ?
À Paris, les sens sont saturés d’information. L’odeur de pisse, de nourriture, des gaz d’échappement. Le bruit des voitures, des gens, des travaux. La silhouette des immeubles, les piétons en mouvement, les enseignes lumineuses. L’air riche en dioxyde de carbone, la chaleur poisseuse du métro, la promiscuité des passagers. Et l’odeur se mêle au goût, et laisse un goût amer sur la langue. Chaque jour, je déteste les gens de simplement exister. D’être là, en même temps que moi. De prendre ce même espace que je revendique aussi. D’avoir la même aspiration à fuir, mais de suivre le même chemin, dans la crainte d’être déçu par l’idée simpliste et mensongère qu’ils se font du bonheur. Fuir. Pour aller où ?

Orléans

Ma fuite permanente continue donc ici, dans ce nouveau départ, celui qui aura lieu dans quelques jours, vers Orléans. Je quitte la chaleur sous les toits, mon 30m² pour une maisonnette et son petit jardin.

Comme chaque page qui se tourne, il y a l’espoir d’un changement radical.

Je sais pourtant que mes soirées seront les mêmes. Que je retrouverai mon corps trop lourd, que mes matins auront le carcan du dégoût, que je traînerai mes piers, encore et toujours avec cette impression de ne pas être où je le souhaite.

Pourtant…

Pourtant, quand je m’effondrerai, je le ferai dans la fraîcheur de l’herbe humide. Quand j’aurai le pas lourd, j’aurai la brise de la nuit rien que pour moi. Quand ma tête cognera, j’aurai le silence, si lourd parfois, mais toujours reposant.

J’aime le silence, qui m’enlace, me détend, sécurisant.

Je hais le silence, sourd, suintant et sa chape de plomb

Les Glitch eux ils me faisaient peur au début, parce qu’ils sont moches. Pas leur faute, ils ont été créé avec ce qui a été oublié, dans leur coin, sans personne, mais ils apprennent. Ils apprennent et ce qu’ils aiment, par dessus tout, c’est la musique.
C’est comme s’ils étaient apparus tout seuls, je les ai pas créés. Au début ils étaient discret, et c’était pire que tout. Je savais que j’en avais vu passer un, je l’avais aperçu puis il avait disparu, pouf. Donc ça me faisait peur, parce que c’était tout le temps comme ça. J’avais peur qu’ils me sautent dessus en pleine nuit, et qu’ils me bouffent, ou bien qu’ils m’électrocutent parce qu’ils ont l’air d’être électriques. Mais j’ai calmé ma peur, et le soir, j’ai commencé à leur parler, dans le vide, je savais qu’ils m’écoutaient. Je leur racontais des trucs, des histoires, et des fois quand je partais la nuit, j’éteignais ma lampe, et je leur disais “je vous vois pas, vous pouvez venir”.

Peut-être que les Glitch ont peur du clair comme quand j’ai peur du noir ?

J’avais la trouille mais je l’ai fait, trois fois. Un jour, enfin, une nuit, j’ai quitté mon vélo et j’ai marché dans un champ en friche. J’ai entendu bougé et j’ai sursauté, y’avait que la lumière de la lune, et ça va encore parce que parfois y’a même pas ça. J’étais figé, je savais pas si je devais courir, et par où courir parce que j’étais loin de la route. Et c’est là qu’il a chanté, comme avec une voix d’enfant, et je l’ai vu. Car les Glitch, quand ils chantent, ils brillent dans la nuit. Il était tout seul, il a chanté pendant plusieurs minutes, à la fois j’étais content et j’avais peur donc j’avais envie qu’il arrête. Puis il a arrêté. Il a disparu. J’ai couru jusqu’à mon vélo et je suis rentré.
Mais après, la journée, j’avais juste envie de recommencer, j’avais hâte que la nuit tombe, en plus mon père a pété un câble parce que j’étais lent et fatigué. Je lui ai dit d’aller se faire foutre donc j’ai été puni. Mais la nuit, je me suis cassé encore et je suis retourné au champ. Là, j’avais plus peur, parce que j’avais réfléchi. Il voulait pas me tuer, je crois. Parce qu’ils auraient pu le faire avant, alors j’ai chanté un peu aussi, un truc qui ressemblait à sa chanson, ça va je chante pas trop faux. Alors, y’a eu une note, puis deux, puis trois, quatre et je sais pas, mais le chant en friche s’est illuminé tout entier, j’avais presque mal aux yeux, et je les ai compris.
Depuis, c’est eux qui me rassurent la nuit. Parce que j’aime la nuit, la nuit je sors, je vais partout, on me juge pas. La nuit, j’existe pas, même quand j’ai peur, très peur.

On avait bien passé des heures à invoquer quelques esprits. Assis à même le sol, à la lueur tremblotante de nos trois bougies.

“C’est dehors qu’on les entendra le mieux”

À la lisière des bois, là où le vent caressait les feuillages, donnait aux branches des ombres inquiétantes. Leurs silhouettes se découpaient, plus noires que le noir du ciel. Bruissements. Craquements. Frissonnement.

Je voulais partir, je voulais rester. Une bougie a été soufflée

“Ils sont là”

J’ai retenu mon souffle. Ils étaient là, alors on les a interpelés.

“Qui est-ce ? C’est toi, papy ?”

La lune s’est dévoilée, cette nuit-là. Plus blanche que jamais, pas ronde mais presque.

“C’est sa réponse, ça veut dire que c’est lui.”

Mon cœur, je le sentais battre. J’aurais juré que mon tee-shirt se soulevait sur ma poitrine. Mes jambes prêtes à courir, l’air était salée. Au loin, on entendait les vagues et leurs mystères. Qui guettaient pour nous bondir dessus et nous enlever. Elle était tapie là-bas, la bête. Dans les bunkers près de l’eau.

“Un jour, elle sortira. On doit être prêt. C’est pour ça qu’on l’appelle, lui, il sait.”

Il sait ? Pourquoi il saurait ? Juste, il sait. C’était lui, notre lien entre notre monde et l’autre monde. Donc il sait. C’est logique ? Il connaît la bête.

“On y va ?”

Une seule bougie sur les trois étaient encore allumée. Je l’ai prise, on s’est engouffré dans les bois.

“T’as peur ?”

Oui.
La lumière de la lune perçait encore le feuillage. On marchait sur des ombres, des soubresauts. Il menait, il s’est arrêté. Figé.

“C’était quoi ?”

Je n’avais rien entendu.

“On se casse”

Et on a couru.

“On l’a échappée belle !”

J’étais juste content d’être là, sous le halo rassurant des lampadaires. La bête, elle nous aura. Mais pas ce soir-là.

Cette nuit, presque vingt ans plus tard, la maison gémi. Dans le froid de la nuit, je suis sûr d’entendre des bruits de pas, lentement monter l’escalier condamné. Grincement. Craquement. Mon cœur bat. Aux aguets, j’écoute. Elle ne m’aura pas. Pas ce soir-là.

Quel monde léguer ?

On sentait quelques soubresauts. Les murs, lentement, se lézardaient dans la vieille maison.

Je m’en inquiétais, par moment.

“Il faudrait faire quelque chose.”.

Qu’importe, ils tenaient, et j’avais le temps.

Ce n’est qu’aux repas, parfois, qu’on évoquait vaguement l’idée si lointaine du danger.

“Oui, c’est vrai”

Têtes baissées. L’odeur des plats, bruits des couverts.

“On ne peut lutter contre le temps qui passe, il faut aller de l’avant.”

Les discussions reprenaient, et avec eux, les jours de beau temps. Chassée, la boule dans la gorge. Mes yeux ne se posaient plus sur la menace rampante que quand venait le soir et ses quelques insomnies. Dans l’impuissance des nuits, que les paupières closes ne parvenaient à cacher.

Aujourd’hui, la maison s’est écroulée.

Du jour au lendemain. Emportant avec elle mes plus beaux souvenirs, teintés d’innocence, d’enfance.

Hier n’était pas pire qu’avant hier.
En ce jour, pourtant, de sa beauté, sa prestance, de ses bras chaleureux, son toit protecteur, de sa mémoire, ses fantômes, il ne reste qu’un tapis de poussière

De brique rouge et de gris.